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Concept très ancien (on en trouve des traces chez le disciple de Confucius, Mencius dès le IV°-IIIe siècles Av.J.C.) le mot empathie a été créé par le philosophe allemand Robert Vischer (se traduit « Einfühlung », ressentir en soi).
D'abord employé dans des ouvrages de philosophie esthétique, ce concept désignait la compréhension intuitive d'une oeuvre d'art. Le mot a ensuite évolué vers les champs de la psychologie sous l'impulsion d'un autre philosophe allemand, Théodore Lipps. Le mot sera traduit par « empathy » par les auteurs anglais et américains.
Il s'agit de la capacité que nous avons à entrer en résonance avec les autres et les œuvres d'art pour y lire des émotions.
Les recherches sur les origines biologiques de l'empathie sont récentes mais prometteuses. L’empathie comme capacité de ressentir la même émotion qu’autrui en le regardant semble être le jeu des neurones miroirs. Ces neurones sont activés indistinctement lors d'une action observée et d'une action effectuée. Ils envoient un message nerveux correspondant et permettent en quelque sorte de vivre ce qui est observé de l'autre comme s'il s'agissait de soi même.
Au début des années 1990 le neurobiologiste Giacomo Rizzolatti découvre que les mécanismes cérébraux qui commandent les mouvements d’un singe macaque avaient le même fonctionnement quand il mangeait et quand il regardait quelqu’un (un être humain, par exemple) accomplir la même action. Rizzolatti les nomme alors des « neurones miroirs ». La compréhension des gestes d’autrui est spontanée et ne passe pas par le langage. Elle est liée à l’organisation neuronale du cerveau. Ce qui donne à l'art une puissance d'expression considérable.
L'empathie dans l'Art a aujourd'hui des preuves scientifiques. David Friedberg (professeur d'art) et Vittorio Gallese (chercheur en neurosciences) ont publié un article en 2007 : "mouvement, émotion et empathie dans l'expérience artistique". Ils ont observé les activations de certaines zones du cerveau lors de l'observation d'une œuvre d'art. Ainsi, en regardant un tableau abstrait nous traçons inconsciemment ce que l'artiste a peint sur la toile. Le lien est plus évident lorsque nous lisons le ressenti d'un personnage à travers l'expression de son visage.
Les spectateurs d'un tableau abstrait de Jackson Pollock ressentent une participation de mouvement de leurs corps aux traits de peinture sur le tableau. Que ce soit dans les traits ou dans les coulures de peinture, ces mouvements sont suggérés par les traces matérielles de l'artiste qui a produit l'œuvre. Le lien avec l'aspect organique de la peinture est évident. Ce lien est-il inné ou se construit-il en apprenant à lire la peinture ? Pourrait-t-on le ressentir si cette œuvre abstraite était une impression numérique, sans trace humaine ?
Nous projetons sur les œuvres d'art nos propres émotions. La création est un partage, une ouverture de soi vers l'autre. Les artistes comme les observateurs de leurs œuvres relisent le monde, s'attardant sur sa beauté et son étrangeté. Les artistes ont le pouvoir de saisir ce que tout un chacun a déjà ressenti l'espace d'un instant, intuitivement, sans approfondir sa pensée.
Le premier pas appartient donc au créateur, afin de pouvoir dire à celui qui observe son œuvre "arrête toi, regarde et vibre avec moi" il doit lui-même réapprendre à regarder, saisir ces détails qui en disent tant et tout faire pour que des yeux étrangers puissent vibrer à leur tour.
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L'environnement et l'éducation ont une grande importance dans le développement de la créativité chez les enfants influencent l'adulte créatif qu'ils seront.
Jusqu’à l’adolescence, l’enfant est un explorateur et un inventeur en puissance. Ses créations sont banales, éphémères et n’ont guère de signification mais l’exploration par le jeu occupe une large place dans son esprit et fait partie de son développement. La créativité est l’extension, dans la vie adulte des qualités vitales d’exploration et d’inventivité de l’enfance.
Torrance (1968) a observé des déclins de la créativité chez les enfants vers 5 ans, 9 ans et 13 ans. Ces déclins correspondraient à l’évolution des enfants dans les échelons système scolaire. Il faut cependant nuancer ces résultats car cette étude n’a pas été poursuivie et l’échantillon était limité. Reste que le niveau de créativité que nous atteignons en tant qu’adultes varie de façon spectaculaire d’un individu à l’autre.
Dans un occident en paix, les états et les villes agissent comme des parents gigantesques qui nous protègent et nous soignent. Compte tenu de ce niveau de sécurité et de l’énorme potentiel explorateur de notre cerveau, tous les citoyens devraient être des inventeurs en puissance. L’adulte, avec son expérience et son champ affectif étendu possède toutes les clefs de la créativité. Mais ayant perdu sa faculté d’exploration et n’osant plus faire de connexions entre des données jugées trop différentes il se contentera de savourer les inventions en seconde main.
Nous sommes paresseux et nous tombons facilement dans la sécurité des routines familières et éprouvées. Il faut que la situation de l’environnement nous paraisse rassurante pour que nous nous risquions à aller explorer plus en avant car l’exploration implique l’incertitude et l’incertitude fait peur. Comment a-t-on pu perdre le goût de créer ? Avançons quelques hypothèses pour expliquer ce renversement…
L’école insiste sur la raison et la logique au détriment de la créativité. C'est le fameux modèle cognitiviste qui donne les bons et les mauvais points aux élèves. En grammaire, en maths ou en histoire, lorsque le prof pose une question il attend une réponse précise. La notion de faute, assortie de reproches et suivie d’une mauvaise note, fixe l’enfant à un idéal moral.
Ces « sets » dont il est difficile de s’affranchir, ont le mérite de produire des individus intelligents (capables d’accumuler des informations dans des domaines restreints et fixes) mais créent aussi une rigidité fonctionnelle (pas de mise en relation entre ces informations, pas d’éveil de la curiosité, rejet systématique de ce qui est jugé illogique, etc.).
Me basant sur ma propre expérience d’élève, j’ai l’impression d’avoir passé ma scolarité à apprendre. Apprendre à apprendre est nécessaire, mais la prédominance accordée à ce qui doit être appris et à la logique endort l’esprit imaginatif. J’imagine que si cette méthode a une place aussi importante dans l’éducation actuelle, c’est que des professionnels (beaucoup plus cultivés, sérieux et barbus que moi) ont des arguments convaincants.
Peut-être faut-il aller chercher du côté de la paresse, de la sociologie ou de la démographie pour expliquer le manque de souplesse du système éducatif. A l’inverse, des gourous de l’éducation ayant compris l’importance qu’il faut donner à l’imagination dans l’éducation croient qu’il suffit de prolonger les activités créatives de l’enfance. Ils traitent donc les ados comme des enfants attardés… Il est possible de s’arranger avec le système actuel, un enseignement de la raison est aussi nécessaire, la logique et la cohérence font partie du processus créatif. Ce n’est qu’une question d’équilibre.
Notre époque produit des esprits spécialisés dans des domaines très spécifiques, ce qui permet d'accumuler une immense quantité de savoir. Reste que la spécialisation et les frontières entre les différents domaines sont telles qu'il n'existe aucune mise en relation des connaissances. Cette mise en relation est le cœur de la créativité. Le manque de vision globale des choses limite l'individu dans ses raisonnements et dans sa spiritualité.
Robert Ornstein, professeur de Psychologie à l'université de Californie du Sud, avance que nous sommes devenus esclaves d'un seul hémisphère de notre cerveau (le gauche, celui de la logique et du langage) et que de la sorte nous supprimons la partie la plus joueuse et créative que nous portons tous (Cohen, h. 1992). L’enseignement et la société ont réussi à produire des esprits critiques : le prochain progrès serait de compléter la pensée critique par la pensée créative.
La peur d'être trop différent ou en contradiction avec la pensée dominante est un frein car elle suppose le rejet, grande peur sociale de l'humain. Que nous le voulions ou non, nous sommes liés les uns aux autres et derrière la course au statut, à la consommation, se cache un grand besoin de faire partie du groupe, d'être reconnu et aimé. Dans la longue histoire de l'homme, et sous des conditions de vie plus précaires, le rejet et la solitude étaient liés à une mort assurée. Aujourd'hui, bien que symbolique, cette peur persiste, et la majorité des adultes éviteront instinctivement que leur enfant ne se différencie trop de ses semblables.
Si la spontanéité s’exprime sans censure et si elle est valorisée, la créativité deviendra une source de satisfaction. Cette sécurité psychologique est vitale pour le maintien de la vie créative à l'âge adulte.
Après un tel traitement des années durant, et si nous grandissons dans un environnement aussi rigide que l’école, imaginez dans quel état notre créativité et notre originalité entrent dans le monde adulte… Ce monde adulte dont les communications sont sommaires, les idées préconçues, le prêt-à-tout qui limite l’inventivité au quotidien. Résultat : des carrés sur pattes ! De purs produits conformes au système logique et restreint !
L’anthropologue Margaret Mead (1959) a affirmé que les cultures qui concèdent le plus de liberté et de spontanéité à ses enfants sont les cultures qui produisent le plus d’individus créatifs. Lorsque nous parlons de liberté pour l’enfant, nous parlons de liberté créative. Ne pas prendre au sérieux leurs dessins, en critiquer les couleurs ou les proportions sont des réactions qui ont de grandes conséquences dans leurs esprits. Une autre étude réalisée par Albert & Runco en 1989 ont lié la créativité à un niveau modéré d’indépendance des enfants. L’indépendance à l’age adulte est un des moteurs de la créativité.
A l’inverse, le désir de perfection des parents peut aussi se transformer en frein pour l’enfant.
Aussi libres et spontanés qu’ils sont, les enfants sont tout aussi sensibles au jugement et ils ne s’aventureront pas à renouveler une expérience qui a été vécue comme désagréable. Si leur spontanéité s’exprime sans censure et si elle est valorisée, ils feront de leur créativité une source de satisfaction. Cette sécurité psychologique est vitale pour le maintien de la vie créative.
Le poids du conformisme éducatif et sociétal qui s’accumule sur les épaules de l’enfant réduit donc la flamme de liberté et de spontanéité nécessaire à l’élan créateur. Peu d’entre eux réussiront à se créer un moi assez fort et flexible pour résister au conformisme extérieur.
Après avoir passé 27 ans en prison et avoir été élu en 1994 président de l'Afrique du sud, Nelson Mandela a partagé un de ses poèmes préférés, écrit par Marianne Williamson :
Our deepest fear is not that we are inadequate.
Our deepest fear is that we are powerful beyond measure.
It is our light, not our darkness
That most frightens us.
We ask ourselves
Who am I to be brilliant, gorgeous, talented, fabulous?
Actually, who are you not to be?
You are a child of God.
Your playing small
Does not serve the world.
There's nothing enlightened about shrinking
So that other people won't feel insecure around you.
We are all meant to shine,
As children do.
We were born to make manifest
The glory of God that is within us.
It's not just in some of us;
It's in everyone.
And as we let our own light shine,
We unconsciously give other people permission to do the same.
As we're liberated from our own fear,
Our presence automatically liberates others.
Our Deepest Fear.
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Pour pouvoir évaluer la créativité il faut déjà pouvoir la définir. Le manque de consensus quant à sa définition explique pourquoi il est encore si difficile de l’évaluer ou de la tester. Certains modèles peuvent donner des indications mais il n’existe pas encore d’outil universellement reconnu comme capable d’évaluer la créativité. En plus du manque de consensus les tests de créativité reposent sur des outils psychométriques assez faibles et excluent le contexte dans lequel se réalise la mesure. Les résultats sont par conséquent difficilement exploitables si des critères scientifiques rigoureux sont appliqués à l’évaluation. Les modèles existants mesurent des élèments qui constituent la créativité : capacité de pensée divergente ou d’association et test de résolution de problème.
Ces tests évaluent l'abondance, la flexibilité et l'originalité des idées. Développé par J.P. Guilford en 1967, l’usage alternatif donne 2 minutes pour réfléchir aux nombreux usages que pourrait avoir un objet de tous les jours, comme une chaise, une tasse à café ou une brique.
Voici un exemple d’usage pour le mot “ trombone” :
Le test mesure la pensée divergente à travers 4 catégories :
En se basant sur le test de Guilford décrit ci-dessus, Paul Torrace a construit un outil permettant de mesurer la pensée divergente.
L’évaluation est construite autour de questions ouvertes impliquant des stimuli verbaux et non-verbaux. Il était par exemple demandé aux participants de continuer des dessins à partir de formes abstraites et de les nommer.
Les productions sont ensuite évaluées selon les critères dejà développés par Guilford (aisance, originalité, flexibilité et élaboration).
Ce test est celui qui a rencontré le plus de succès au niveau international et son ancienneté a permis de faire un suivi sur le long terme du devenir professionnel des sujets évalués, établissant un lien entre score élevé au test de Torrace et succès professionnels.
Les tests de résolution de problème mesurent la capacité cognitive, soit la capacité à analyser et à résoudre des problèmes selon une démarche de raisonnement logique ou déductif. Ils invitent le sujet à dépasses des contraintes implicites dans le problème.
Les tests d’association consistent à prendre 3 mots qui n’ont aucun rapport entre eux en apparence, comme “ verre-tache-rouge ” et de trouver un quatrième mot pour les relier solution « vin ».
Ces tests n’évaluent que partiellement la capacité créative. Il n’existe pour l’heure aucun outil les intégrant à une étude théorique de la personnalité capable de donner des résultats scientifiquement rigoureux. Les avancées les plus significatives ont eu lieu dans la capacité d’évaluation du produit, et non de l’individu.
Mise au point en 1982 par Theresa Amabile, Docteure en psychologie, il s’agit d’une évaluation subjective de la créativité. Partant du principe que le degré de créativité d’un produit ne peut être mesuré que par des spécialistes du domaine dans lequel il a été conçu, Theresa Amabile a mis au point une méthodologie d’évaluation du degré de créativité. Pour chaque nouvelle production dans un domaine précis, un comité d’experts est réuni et va juger la créativité de l’objet. Ils peuvent aussi utiliser une échelle évaluant la nouveauté, l’utilité, la complexité ou encore l’effort de la production. Une statistique permettant de valider la consistance et la fiabilité des résultats est ensuite utilisée (Cronbach’s Alpha). Si l’indice de fiabilité est élevé, alors les résultats peuvent être considéré comme un indicateur valide du degré de créativité d’un objet dans son domaine. Ce test n’est lié à aucune théorie psychologique et offre une vision précise du degré de créativité. En revanche, il pose la question du choix des experts dans un domaine : qu’est ce qui permet de désigner une personne comme expert en son domaine ?
Un test mis au point par les universités d’harvard et de melbourne, le Divergent Association Task (DAT) consiste à demander aux participants d'énumérer dix noms dont le sens est le plus éloigné possible les uns des. Un algorithme va par la suite évaluer cet écart sémantique et ensuite un score de pensée divergente (compris entre 0 et 200). Cependant, ce test ne mesure qu’une partie de la créativité, celle de la pensée divergente. Cette évaluation ne nécessite aucune manipulation des données par les scientifiques mais exclu une fois encore le contexte de l’évaluation. Vous pouvez faire ce test sur https://www.datcreativity.com/
Des chercheurs de l’université Rutgers dans le New Jersey ont mis au point un algorithme permettant d’évaluer l’apport d’une œuvre dans l’histoire de l’art. Le tableau est d’abord disséqué par la machine. Ses éléments sont ensuite classés dans 2600 catégories (couleurs, formes, éléments représentés…) et comparés aux éléments contenus dans 62.000 œuvres. Si un élément est jugé relativement « neuf » par la machine (c’est à dire non précédemment répertorié), alors on jugera qu’il s’agit d’une innovation. Si cet élément est répété dans d’autres œuvres postérieures à celle du tableau étudié, alors son degré d’innovation n’en sera qu’augmenté. Monet, Velazquez et Goya figurent parmi les plus influents de l’histoire de l’art. Picasso, avec ses Demoiselles d’Avignon a été une source d’influence majeure de 1904 à 1911.