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A 25 ans, Picasso décide de s’attaquer au "bordel de son inspiration" (citation du peintre). Il le trouvera calle Avinyó, à Barcelone. Ce tableau est considéré comme une rupture stylistique et comme le point de départ du cubisme. La mosaïque créative et l’ensemble des éléments qu’un créatif va connecter afin de donner naissance à un œuvre nouvelle.
Pour Picasso, en 1907, choisir un "problème" créatif signifiait trouver un thème qu'il pouvait transformer en style conceptuel. Le concept était donc une nouvelle représentation de l'espace et du temps, pour Picasso choisir un problème signifiait trouver une scène dans laquelle ce concept pouvait s'exprimer d'une manière complexe et esthétiquement satisfaisante (Miller).
Loin de toute considération esthétique, nous allons analyser quelle est la mosaïque créative qui compose cette œuvre. Cette analyse a été complétée par le livre d'Arthur I Miller, Einstein et Picasso.
Je profite de cet article pour réaffirmer la puissance de la peinture, îlot organique, mystérieux et ambigu dans un océan d'images univoques et lisses. Ce tableau a d'abord été accueilli froidement par ses amis (Matisse et Derain inclus), Picasso attendra 10 ans avant de l’exposer.
Dans ses “conversations avec Picasso” Brassaï note que Picasso lui avait un jour dit :
Pour commencer, le tableau :
La mosaïque :
Ce tableau a été peint environs 10 ans après l'invention des rayons X et du cinéma. Ces deux découvertes ont eu un écho particulier chez les peintres car les peintres avaient jusqu'alors l'illusion de partager un savoir du corps égal au scientifique ou au médecin.
L'artiste se trouve alors dépossédé de ses moyens et renvoyé à sa subjectivité.
Les champs de la psychologie s'élargissent également et ses conclusions sont désormais accessibles au plus grand nombre, portant la subjectivité comme thème majeur des productions artistiques à venir.
Le cinéma c'est le mouvement des figures, Picasso y prend son idée de révéler une transformation des formes.
Picasso s'intéresse aux discours de Princet sur le mathématicien Poincaré. Il se focalise sur la simultanéité spatiale et le temps, celui de la 4ème dimension. Il dote son art d'un langage géométrique conceptuel qui explore la structure profonde des formes. La représentation, jusqu'alors informelle, se dote d'une rigueur formelle.
Autre découverte de l'époque. Alors que les autres rayons allaient d'un coté à l'autre de l'espace, les rayons X ouvrent les corps, permettant à Picasso de réordonner ses éléments.
La photographie s'utilise alors de plus en plus comme un appui à la peinture. Pour son tableau, Picasso s'inspira de texte plaçant la photographie comme un nouvel art.
L'Art africain vient confirmer à Picasso que l'usage de formes simples et géométrique permettait de toucher l'essentiel dans les représentations.
Le complexe d'Œdipe du peintre et ses tentatives de castration envers son père. Il essayait d'y parvenir en devenant célèbre avec un style radical qui le séparait des autres artistes et des normes sociales.
La visite du salon des indépendants, en 1907, où il put constater les progrès réalisés par Matisse et Derain anima chez Picasso le désir de les dépasser.
Le sexe était, avec le tabac et le travail, la grande addiction de Picasso. C'était le moteur de ses pulsions créatrices. Le choix d'un bordel comme le thème de ses expérimentations n'est donc pas un hasard...
Après la vente de son studio et sa rencontre avec Kahn-weiler, Picasso est libéré de la nécessité matérielle et peut prendre son temps pour peindre les demoiselles ainsi que d'autres œuvres. Cela lui permet aussi de peindre des œuvres personnelles, sans la nécessité de séduire immédiatement des acheteurs.
La littérature et la philosophie lui donnent la force intellectuelle nécessaire pour surpasser les normes du moment et continuer de chercher une forme d'expression radicalement nouvelle.
Picasso continue de s'inspirer de ses maîtres : Cézanne, El Greco ou Ingres. Mais aussi de ses contemporains, avec qui il entre directement en compétition.
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Selon l'approche multivariée, la créativité suppose la mise en marche de multiples motivations. Par motivations, nous entendons les raisons qui poussent un individu à commencer et finaliser une tâche créative.
Klee fait ici état d'une motivation interne. La théorie psychanalytique de la créativité voit la genèse de la créativité dans le "conflit intérieur", résultat des émotions assoupies et qui se développent à travers des associations libres qui s'alimentent de l'imagination, du rêve et des jeux d'enfants. L'individu créatif accepterait et jouerait avec ces associations tandis que le non-créatif les rejetterait.
Les motivations pourraient s'ordonner en deux groupes : les motivations premières et les motivations secondaires. Les motivations premières engendrent les motivations secondaires.
- L'énergie dérivée de la sublimation libidinale (idées de Freud, Lris, Bellak) Pour illustrer cette hypothèse, voici un extrait du site de Serge Carfantan : « selon Freud, l’artiste est un névrosé qui parvient à sublimer ses pulsions sexuelles dans une création artistique. Toulouse Lautrec qui avait un physique disgracieux aurait compensé son complexe d’infériorité dans un choix de modèles de puissance et de grâce physique. Michel Ange peignait des colosses parce qu’il était lui-même malingre et chétif… Freud estime que l’artiste parvient à reprendre pied dans le réel, ce que le névrosé ordinaire ne peut faire. Il considère aussi que les artiste utilise l'Art pour exprimer des pulsions socialement non acceptable.
Freud n’aborde pas le mystère de la création artistique comme moyen et don : « L’analyse ne peut en effet rien nous dire de relatif à l’élucidation du don artistique, et la révélation des moyens dont se sert l’artiste pour travailler, le dévoilement de la technique artistique n’est pas non plus de son ressort ». Carfantan continue en posant la névrose comme effet du talent et non la cause.
La motivation artistique selon Freud doit être prise en compte mais en aucun cas elle ne constitue la seule motivation de la création. Ce serait réduire l’importance de la sensibilité et du désir de communiquer. Continuons la liste des motivations mises en valeur par les spécialistes :
- La Curiosité (idées de Murphy, Thorndike, Rossman)
- L'élan d'actualisation/rénovation (Maslow, Rogers)
- La communication (Schachtel, Crutchfield, Irving Taylor, Fromm) La valeur communication de l'oeuvre occupe une large place dans les motivations du créateur. Il s'agit d'émettre un message, de transmettre, de donner du sens. Cette communication sous entend aussi le rapport de l'artiste à la société (en donnant son oeuvre à contempler, il prend un risque et s'affirme en tant que sujet) à sa conception de l'éternité et de la mort (laisser une trace)
- La réalisation de soi (Maslow, May)
- L'expression des émotions
- La réussite, l'argent Il s'agit ici d'une motivation extérieure à l'individu. Elle peut influencer la motivation de l'individu mais selon quelques études elle ne semble pas être une motivation première pour la création artistique (Mc Graw, travaux d'Amabile).
- La sublimation de la terreur (l'angoisse de la mort)
Les motivations secondaires sont celles qui dès leur origine étaient des manifestations générées par l'expérience des premières motivations.
- Plaisir dans l'acte de créer (Rossman, köhler, Suchman, Barron)
Didier Anzieu disait très justement à ce sujet que « donner la vie à une oeuvre rassure, pendant le temps éphémère de l’inspiration sur sa propre toute-puissance, sur sa fécondité, sur son éternité : acte de foi narcissique, immense, mouvant comme la mer toujours recommencée entre les pins, entre les tombes... ».
- Goût pour la nouveauté (Maddi, Berne, Houston y Mednick)
- Élan vers la qualité (Maddi)
- Ordonner ses pensées. (Barron, Murphy)
- Ambition (Matussek, Tumin)
La théorie existentialiste de la créativité défendue par Rolo May affirme que la créativité est une trouvaille. Par sa sensibilité et son esprit prédisposé, le peintre "créé" le cadre du paysage qu’il souhaite peindre. Il créé un cadre pour développer son jeu créatif. Alors que la théorie psychanalytique de la créativité limite l’explication de la créativité au champ de la sexualité, May affirme que l’individu créatif est ouvert à son environnement, il est donc plus réceptif et disposé à la trouvaille.
La créativité ne serait donc pas la satisfaction d’instincts réprimés mais la satisfaction d’une nécessité de communiquer avec l’environnement et de se réaliser.
Concluons cet article avec un extrait d'un article publié en avril 2013 dans "Frontiers in psychology":