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Paradoxes

La créativité suppose une acceptation des différents paradoxes qui la composent.

Ordre et désordre

Barron définit la sensibilité artistique comme une préférence pour l’ordre, les formes élégantes et l’harmonie. Tous les termes précités sont sujets à des débats passionnants (qu’est ce qui définit une forme élégante ?), mais dans le cadre de cet article, nous nous intéresserons seulement à la notion d’ordre car il s’agit d’un paradoxe intéressant du créateur. Par ordre, dans le domaine créatif, il faut entendre la capacité à organiser son propre désordre.

Un désordre implique une multitude de données toutes plus différentes les unes que les autres. Plus la culture, l’expérience et la curiosité du créateur sont étendues, plus son désordre sera riche et varié. L’objectif étant d’organiser ce désordre pour ensuite l’utiliser et faire des combinaisons inespérées (Paul Valery) entre les éléments. Certains créateurs, incapables d’ordonner leur désordre intérieur perdent en « combinaisons inespérées » et en clarté. Cela nous amène à la capacité de distanciation propre à tous les créatifs. Distanciation face à son désordre et distanciation face à son travail.

Implication et distanciation

- Aide-moi donc, bégaya-t-il, on ne peut pas la laisser comme ça. L’émotion avait gagné Claude et ses yeux se mouillaient eux aussi, dans sa fraternité d’artiste. Il s’empressa mais le sculpteur, après avoir réclamé son aide, voulait être seul à ramasser ces débris, comme s’il eût craint pour eux la brutalité de tout autre. Lentement, il se traînait à genoux, prenait les morceaux un à un, les couchait, les rapprochait sur une planche. Bientôt la figure fut de nouveau entière, pareille à une de ces suicidées d’amour qui se sont fracassées du haut d’un monument et qu’on recolle, comiques et lamentables pour les porter à la morgue. Lui, retombé sur le derrière devant elle, ne la quittait pas du regard, s’oubliait dans une contemplation navrée.

L’écroulement des rêves de Mahoudeau, extrait de L’Oeuvre par Emile Zola

Bruner met en valeur la passion qui lie l’objet à l’artiste au fur et à mesure que celui-ci prend forme. L'individu est d’abord possesseur de l’objet lorsqu’il le conçoit, puis il devient possédé par sa propre création. Pour pouvoir reprendre une attitude créative et continuer son travail, il est obligé de se distancer, afin de vérifier si le travail en cours correspond à ses attentes initiales. Ce jeu d’implication/distanciation et Possesseur/Possédé va durer tout au long du processus.

paradoxes de la créativité

Complexité et simplification

Le créatif jouit d’un goût paradoxal pour la complexité et la simplification. La complexité car il aime se poser des problèmes et les résoudre. Son goût pour l’analyse l’attirera vers la complexité. La simplification est nécessaire pour pouvoir organiser et catégoriser les éléments qui constituent ses ressources. Un exemple : le créatif graphique, qui effectue un tri entre l’essentiel et l’accessoire, et, généralement, s’efforce à quitter de l’image tout ce qui en complique la perception.

Pensée divergente et pensée convergente

Guildford (1967) considérait ces modèles comme les plus importants dans la créativité. En quoi consiste-t-il ?

Pensée divergente

La pensée divergente peut être définie comme le mode de pensée qui permet aux individus de générer autant de solutions possibles à partir de contraintes relativement faibles. Un exemple : Guilford (1967) présentait un crayon papier à des individus et leur demandait d'imaginer un grand nombre d'utilisation avec ce crayon. Les résultats étaient comptabilisés en fonction du nombre d'usages imaginés (fluency), le nombre de catégories (flexibility), le degré d'originalité de la réponse en comparaison avec celles du groupe (originality) et la précision des détails (elaboration). La pensée divergente tend donc à repousser les frontières et à élargir les champs du possible.

Pensée convergente

La pensée convergente peut être définie comme plus contraignante car il s'agit de trouver des points communs à des éléments et de les unifier dans un unique concept. Dans ses expérimentations, Mednick (1962) proposait trois concepts : cheveux, étirer et temps. Les individus devaient alors identifier le concept qui permettrait d'unifier les trois concepts proposés. La réponse est "longueur". Hudson affirme que les personnes qui sont douées en association libre (associations divergentes) seront attirées par les arts, tandis que les personnes plus douées en associations convergentes seront attirées par la science et la technologie (Oxford, 1998). Cette affirmation peut être contrastée car bien que les deux premières phases de la créativité soient "divergentes", les deux dernières sont "convergentes".

Solitude, collaboration et contexte social

Si l'appartenance à une communauté créative facilite l'impulsion créative (recherche de statut, compétition); la solitude permet à l'individu de se centrer pour transformer son idée en réalité.

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Peintre

Baudelaire : Le Peintre de la Vie Moderne

Quelques extraits du "Peintre de la vie moderne" par Charles Baudelaire.

Lorsqu’enfin je le trouvai, je vis tout d’abord que je n’avais pas affaire précisément à un artiste, mais plutôt à un homme du monde. Entendez ici, je vous prie, le mot artiste dans un sens très restreint, et le mot homme du monde dans un sens très étendu. Homme du monde, c’est-à-dire homme du monde entier, homme qui comprend le monde et les raisons mystérieuses et légitimes de tous ses usages ; artiste, c’est-à-dire spécialiste, homme attaché à sa palette comme le serf à la glèbe. M. G. n’aime pas être appelé artiste. N’a-t-il pas un peu raison ? Il s’intéresse au monde entier ; il veut savoir, comprendre, apprécier tout ce qui se passe à la surface de notre sphéroïde.

L’artiste vit très peu, ou même pas du tout, dans le monde moral et politique. Celui qui habite dans le quartier Breda ignore ce qui se passe dans le faubourg Saint-Germain. Sauf deux ou trois exceptions qu’il est inutile de nommer, la plupart des artistes sont, il faut bien le dire, des brutes très adroites, de purs manœuvres, des intelligences de village, des cervelles de hameau. Leur conversation, forcément bornée à un cercle très étroit, devient très vite insupportable à l’homme du monde, au citoyen spirituel de l’univers.

Ainsi, pour entrer dans la compréhension de M. G., prenez note tout de suite de ceci : c’est que la curiosité peut être considérée comme le point de départ de son génie.

Vous souvenez-vous d’un tableau (en vérité, c’est un tableau !) écrit par la plus puissante plume de cette époque, et qui a pour titre L’Homme des foules ? Derrière la vitre d’un café, un convalescent, contemplant la foule avec jouissance, se mêle par la pensée, à toutes les pensées qui s’agitent autour de lui. Revenu récemment des ombres de la mort, il aspire avec délices tous les germes et tous les effluves de la vie ; comme il a été sur le point de tout oublier, il se souvient et veut avec ardeur se souvenir de tout. Finalement, il se précipite à travers cette foule à la recherche d’un inconnu dont la physionomie entrevue l’a, en un clin d’œil, fasciné. La curiosité est devenue une passion fatale, irrésistible ! Supposez un artiste qui serait toujours, spirituellement, à l’état du convalescent, et vous aurez la clef du caractère de M. G. Or la convalescence est comme un retour vers l’enfance. Le convalescent jouit au plus haut degré, comme l’enfant, de la faculté de s’intéresser vivement aux choses, même les plus triviales en apparence. Remontons, s’il se peut, par un effort rétrospectif de l’imagination, vers nos plus jeunes, nos plus matinales impressions, et nous reconnaîtrons qu’elles avaient une singulière parenté avec les impressions, si vivement colorées, que nous reçûmes plus tard à la suite d’une maladie physique, pourvu que cette maladie ait laissé pures et intactes nos facultés spirituelles.

L’enfant voit tout en nouveauté ; il est toujours ivre. Rien ne ressemble plus à ce qu’on appelle l’inspiration, que la joie avec laquelle l’enfant absorbe la forme et la couleur. J’oserai pousser plus loin ; j’affirme que l’inspiration a quelque rapport avec la congestion, et que toute pensée sublime est accompagnée d’une secousse nerveuse, plus ou moins forte, qui retentit jusque dans le cervelet. L’homme de génie a les nerfs solides ; l’enfant les a faibles. Chez l’un, la raison a pris une place considérable ; chez l’autre, la sensibilité occupe presque tout l’être. Mais le génie n’est que l’enfance retrouvée à volonté, l’enfance douée maintenant, pour s’exprimer, d’organes virils et de l’esprit analytique qui lui permet d’ordonner la somme de matériaux involontairement amassée.

C’est à cette curiosité profonde et joyeuse qu’il faut attribuer l’œil fixe et animalement extatique des enfants devant le nouveau, quel qu’il soit, visage ou paysage, lumière, dorure, couleurs, étoffes chatoyantes, enchantement de la beauté embellie par la toilette. Un de mes amis me disait un jour qu’étant fort petit, il assistait à la toilette de son père, et qu’alors il contemplait, avec une stupeur mêlée de délices, les muscles des bras, les dégradations de couleurs de la peau nuancée de rose et de jaune, et le réseau bleuâtre des veines. Le tableau de la vie extérieure le pénétrait déjà de respect et s’emparait de son cerveau.

Déjà la forme l’obsédait et le possédait. La prédestination montrait précocement le bout de son nez. La damnation était faite. Ai-je besoin de dire que cet enfant est aujourd’hui un peintre célèbre ? Je le nommerais volontiers un dandy, et j’aurais pour cela quelques bonnes raisons ; car le mot dandy implique une quintessence de caractère et une intelligence subtile de tout le mécanisme moral de ce monde ; mais, d’un autre côté, le dandy aspire à l’insensibilité, et c’est par là que M. G., qui est dominé, lui, par une passion insatiable, celle de voir et de sentir, se détache violemment du dandysme. Amabam amare, disait saint Augustin.

« J’aime passionnément la passion », dirait volontiers M. G. Le dandy est blasé, ou il feint de l’être, par politique et raison de caste. M. G. a horreur des gens blasés. Il possède l’art si difficile (les esprits raffinés me comprendront) d’être sincère sans ridicule. Je le décorerais bien du nom de philosophe, auquel il a droit à plus d’un titre, si son amour excessif des choses visibles, tangibles, condensées à l’état plastique, ne lui inspirait une certaine répugnance de celles qui forment le royaume impalpable du métaphysicien.

L’observateur est un prince qui jouit partout de son incognito. L’amateur de la vie fait du monde sa famille, comme l’amateur du beau sexe compose sa famille de toutes les beautés trouvées, trouvables et introuvables ; comme l’amateur de tableaux vit dans une société enchantée de rêves peints sur toile. Ainsi l’amoureux de la vie universelle entre dans la foule comme dans un immense réservoir d’électricité. On peut aussi le comparer, lui, à un miroir aussi immense que cette foule ; à un kaléidoscope doué de conscience, qui, à chacun de ses mouvements, représente la vie multiple et la grâce mouvante de tous les éléments de la vie. C’est un moi insatiable du non-moi, qui, à chaque instant, le rend et l’exprime en images plus vivantes que la vie elle-même, toujours instable et fugitive.

« Tout homme », disait un jour M. G. dans une de ces conversations qu’il illumine d’un regard intense et d’un geste évocateur, « tout homme qui n’est pas accablé par un de ces chagrins d’une nature trop positive pour ne pas absorber toutes les facultés, et qui s’ennuie au sein de la multitude, est un sot ! un sot ! et je le méprise ! »

Quand M. G., à son réveil, ouvre les yeux et qu’il voit le soleil tapageur donnant l’assaut aux carreaux des fenêtres, il se dit avec remords, avec regrets : « Quel ordre impérieux ! quelle fanfare de lumière ! Depuis plusieurs heures déjà, de la lumière partout ! de la lumière perdue par mon sommeil ! Que de choses éclairées j’aurais pu voir et que je n’ai pas vues ! » Et il part ! et il regarde couler le fleuve de la vitalité, si majestueux et si brillant. Il admire l’éternelle beauté et l’étonnante harmonie de la vie dans les capitales, harmonie si providentiellement maintenue dans le tumulte de la liberté humaine. Il contemple les paysages de la grande ville, paysages de pierre caressés par la brume ou frappés par les soufflets du soleil. Il jouit des beaux équipages, des fiers chevaux, de la propreté éclatante des grooms, de la dextérité des valets, de la démarche des femmes onduleuses, des beaux enfants, heureux de vivre et d’être bien habillés ; en un mot, de la vie universelle. (...)

Moins adroit qu’eux, M. G. garde un mérite profond qui est bien à lui : il a rempli volontairement une fonction que d’autres artistes dédaignent et qu’il appartenait surtout à un homme du monde de remplir ; il a cherché partout la beauté passagère, fugace, de la vie présente, le caractère de ce que le lecteur nous a permis d’appeler la modernité. Souvent bizarre, violent, excessif, mais toujours poétique, il a su concentrer dans ses dessins la saveur amère ou capiteuse du vin de la Vie.

Charles Baudelaire, Le peintre de la vie moderne

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Perte de la créativié

Conserver la curiosité et la créativité de son enfance : l’adulte-enfant

L’adulte-enfant est un adulte qui a pu éviter que l’émerveillement, la curiosité, le besoin de chercher et d’éprouver ne disparaissent et continuent de dominer la course aux stimuli de sa vie d’adulte. La créativité est l’extension, dans la vie adulte des qualités vitales de l’enfance.

L’adulte ajoute à ces qualités vitales son expérience, sa sensibilité et son savoir-faire. L’enfant pose de nouvelles questions ; l’adulte répond aux anciennes ; l’adulte-enfant trouve des réponses aux nouvelles questions. L’enfant est inventif, l’adulte est productif, l’adulte-enfant est "inventivement" productif.

Notre époque devrait produire beaucoup d’adultes-enfants. L’histoire nous le dira mais il est probable la sécurité et l’accès immédiat à un savoir varié via internet sont deux éléments qui pourraient contribuer au développement d’adultes-enfants. Il nous est tous possible d’avoir une activité de création : nous avons du temps libre et surtout tous les moyens techniques les plus avancés à portée de main. Comme nous l’avons vu précédemment, il ne manque que la curiosité et l’éveil de la sensibilité.

Alors, tous adultes-enfants ?

Ta création est incomplète. Tu n’as pu souffler qu’une portion de ton âme à ton œuvre chérie.

Pour toutes ces raisons et malgré les apparences, notre époque ne produit que très peu d’adultes-enfants. En tant qu’adulte, comment peut-on renouer avec une existence créatrice ?

Des chercheurs croient en la réhabilitation de la créativité. Il s’agit principalement de se familiariser avec ce qui est jugé comme bizarre, de l’accepter et de l’utiliser.

Il faut d’abord commencer par démystifier l’Art. Ceux qui s’y intéressent peuvent penser que tous les peintres essayaient de faire des commentaires politiques, qu’ils peignaient en considérant des idées scientifiques complexes ou qu’ils étaient capables de faire de longs discours sur leurs connaissances de la lumière ou de la couleur. En réalité, beaucoup d’entre eux peignaient sans trop considérer ces questions.

Nous perdons de vue les petites touches et les hésitations qui construisent leurs grandes œuvres. Dans la majorité des cas, leur talent est venu avec l’obstination. La créativité quotidienne à peu à peu changé leur perception du monde et ce qu’ils nous offrent à contempler c’est leurs originalités. Rembrandt, Matisse, Van Gogh ou Picasso sont tous considérés comme talentueux. Et pourtant, quel similitude y a-t-il entre leurs peintures? Je ne vois pas de point commun si ce n’est leur authenticité.

Manet a passé sa vie à peindre des œuvres qui étaient jugées remplies de contradictions et qui manquaient de perspective. Il est aujourd’hui considéré comme un maître car il utilisait un point de vue unique. Il était sincère avec lui-même et peignait des mendiants, des filles de joie ou la bourgeoisie. Ce qui l’intéressait n’était pas de produire « du grand art, mais un art sincère ».

La créativité artistique n’amène pas automatiquement à produire des chefs d’œuvre, là n’est pas l’important car la nouvelle conscience qu’apporte un processus créatif développé vaut plus que les toutes éloges (ou toutes les critiques !). Le plus important étant de commencer. Nous parlons de créativité artistique mais la créativité peut s’étendre à tous les domaines dès lors que l’on renoue avec la sensibilité et la curiosité !

La nature et la vie sont par essence imparfaites, Créer, par conséquent, ne veut pas dire produire des chefs d’œuvre. Il faut réapprendre à regarder, créer une motivation, comprendre que ça en vaut la peine. Considérant que la créativité est une disposition de l’esprit, nous ne parlerons pas de faculté.

Les personnalités créatives sont définies par les caractéristiques suivantes : fluidité dans l’action, flexibilité, élaboration, originalité et sensibilité aux problèmes (goût pour la complexité). Un pas vers l’existence créative serait peut-être de se concentrer sur le développement de ces caractéristiques…

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Préparation

Quels sont les étapes du processus créatif ?

Le champ de la créativité est immense et varié. Il existe autant de théories que de perspectives sur l’origine et les conditions de la créativité. Nous essayons ici de nous faire l’écho des théories qui nous semblent le plus s’approcher de ce que nous expérimentons dans notre travail de créatif. Ce qui est intéressant c’est que chaque théorie semble porter une part de vérité mais aucune ne les concentre en une seule. Nous allons aujourd’hui nous intéresser à la théorie des étapes du processus créatif définie par Wallas (1926). Selon Wallas, le processus créatif peut se diviser en quatre étapes consécutives : la recherche d’information, une phase d’incubation, une phase d’illumination et une phase de vérification.

Les contours de ces phases et leurs durées ne sont pas clairement définis. Botellaetal (2011) a proposé une approche dynamique de la créativité artistique dans laquelle il est possible de sauter des étapes, mais aussi d'en réaliser simultanément et de revenir aux étapes précédentes.

La phase préparatoire comprend la perception d’un problème et la réunion des informations pour le résoudre. La première phase est donc une vision, puis une motivation, celle de créer et d'exprimer. Dans les deux cas, un problème est posé, et les ressources sont sondées, catégorisées. La phase d’incubation est un moment d’attente, de recherche inconsciente d’une solution. Dans la phase d’illumination, la solution apparaît soudainement, tandis que la vérification de la solution s’effectue dans la quatrième et dernière phase. La durée dépend de chaque individu, et les processus peuvent durer des mois ou des années ! Les spécialistes considèrent que les étapes ne sont pas parfaitement délimitées.

Prendre connaissance avec le problème

Avant de décrire les ressources en action lors de la première phase, il convient de définir ce qu'est un problème. Il s’agit d’une tâche à réaliser pour laquelle on ne connaît pas de solution ou de méthode systématique de résolution. On sait quel est le but à atteindre, mais on ne connaît pas explicitement la procédure à suivre. Tout processus créatif est analogue au processus de résolution d’un problème ; il s’agit de travailler l’information, de mettre en jeu les expériences et de les combiner à de nouveaux schémas de pensées (patterns), qui dans leur nouvelle configuration résolvent le problème, tout en satisfaisant l’individu (Arnold).

Pour Picasso, en 1907, choisir un problème signifiait trouver un thème qu'il pouvait transformer en style conceptuel. Il tentera ensuite de rassembler diverses sources dans un même thème (voir l'article sur la mosaïque créative des demoiselles d'Avignon). Le concept était une nouvelle représentation de l'espace et du temps, choisir un problème signifiait trouver une scène dans laquelle ce concept pourra s'exprimer d'une manière complexe et esthétiquement satisfaisante (Miller).

Première phase

La réunion des informations

Lors de la première phase de la création, le problème est donc posé puis analysé. L’individu va commencer par réunir toutes les informations directement liées au problème à résoudre. Le créateur, totalement passif et réceptif, accumule les informations, les organise et analyse le problème en faisant appel à toutes ses ressources accessibles (savoir, technique, expérience, affectivité…).

Selon Maslow, cette étape se caractérise par l’arrivée de la matière première, brute et abondante. Une fois les ressources taries par cette première analyse, quelques esquisses sont mentalement dessinées comme de potentielles solutions, mais n’interviennent à ce stade que comme de simples suggestions de l’esprit.

Le regard de l’individu change alors et se prédispose à trouver les éléments dont il a besoin dans ses ressources et son environnement immédiat.

Regarder de tous ses yeux

L’esprit se met en alerte et va chercher des éléments susceptibles de l’aider dans son processus de réunion des ressources. La fameuse citation de Pasteur « la chance ne sourit qu’aux esprits bien préparés » prend ici tout son sens. Le regard de l’individu change et se prédispose à trouver les éléments dont il a besoin dans ses ressources et son environnement immédiat. Par exemple, si le créateur est à la recherche d’une forme, son regard et sa sensibilité lui suggéreront des formes dans tous les objets qu’il regardera au quotidien, il n’aura qu’à choisir parmi toutes ces propositions.

Il est intéressant de souligner que dans cette première phase, lorsque l’esprit dessine des premières esquisses, le créateur s’immerge dans un monde entre le rêve et la réalité. Il y reviendra lors de la mise en forme de ses idées dans le réel. Nous utilisons ce procédé tous les jours lorsque nous pensons à une situation future.

Seconde Phase du Processus Créatif Selon Wallas : Incubation et Associations

Les ressources provenant de la réalité interne et externe apparues comme valables et utilisables lors de la première phase sont catégorisées et triées. Le cœur de la créativité repose sur les associations. Mednick définissait ainsi la créativité :

« La pensée créatrice consiste en des associations formées en vue de combinaisons nouvelles, soit utiles, soit répondant à des exigences spécifiques. Le processus de la nouvelle combinaison sera d’autant plus créatif que les éléments de la nouvelle combinaison seront plus éloignés. »

Les connections de l'esprit

Dans le cri d’Archimède, l’écrivain Arthur Koestler évoque « l'acte bisociatif », autrement dit le bond novateur qui, en reliant des systèmes de référence jusqu'alors séparés, nous fait vivre ou comprendre le réel sur plusieurs plans à la fois tout en devenant un moteur de la créativité. Des connexions conscientes et inconscientes commencent à s’établir entre tous les éléments. Il s’agit d’un temps de remplissage progressif où l’énergie est maintenue en soi. Cette phase crée une tension interne et si elle se prolonge par manque de résultats valables ou de ressources, elle peut engendrer une sensation de vide et un profond abattement.

« Tous les matériaux dont la mémoire s’est encombrée se classent, se rangent, s’harmonisent et subissent cette idéalisation forcée qui est le résultat d’une perception enfantine, c’est-à-dire d’une perception aiguë, magique à force d’ingénuité ! »

Sur le plan conscient, le créatif va rassembler des ressources qu’il juge satisfaisantes pour la réalisation de son travail. La matière créative installée dans l’inconscient intègre les connexions réalisées consciemment et se met à en préparer d’autres, différentes ou encore plus élaborées. Nous appellerons cette phase l’incubation. Cette phase est un temps d’attente, dans laquelle l’inconscient joue un grand rôle. Il ne se préoccupe pas des états d’âmes du créateur et ne cesse de travailler, dans l’ombre.

Selon la théorie de Wallas, cette étape se déroule au-delà de la conscience, là où les choses semblent échapper à la raison et n'appartiennent plus complètement à l'initiateur de la pensée. Il y a ici débat entre les spécialistes qui considèrent que cette phase se déroule dans l’inconscient et ceux qui considèrent qu’il ne s’agit que d’une distanciation consciente face au problème qui permet de l’aborder avec de nouvelles forces.

L'énergie noire du cerveau

De récentes études en neurosciences ont révélé que le cerveau d'une personne au repos reste très actif et consomme une énergie aussi grande sinon supérieure à celle utilisée par le cerveau conscient. On soupçonne qu'il orchestre la façon dont le cerveau organise les données et les souvenirs de même qu'il coordonne les différents modules cérébraux participant à la programmation des tâches. Il préparerait ainsi le cerveau à passer d'un mode non conscient à une activité consciente. Cela nous amène directement à la troisième phase.

Troisième Phase du Processus Créatif : la Vision

Lorsque l'attention se libère, les pensées évidentes générées à l'avant du cerveau migrent vers l'arrière du cerveau où elles se complexifient. Des chercheurs ont découvert que 5 secondes avant la vision créative une petite zone du cerveau (le gyrus temporal) s'activait et pourrait ainsi faire émerger à la conscience le produit de l'esprit.

Bus, bath, bed

Il arrive que cette idée apparaisse au moment le moins opportun, lorsque nous réalisons des activités qui occupent peu de notre capacité d’attention et libèrent des espaces d'où émergent la matière inconsciente. Le moi censeur baisse la garde et les idées (insights) émergent. Les américains se réfèrent a ces moments lorsqu’ils évoquent les instants « bus, bed & bath ». Par exemple, beaucoup de créateurs trouvent dans la marche un moyen de faire émerger quelques idées.

La matière accumulée en phase d’incubation se transforme en une vision claire et cohérente qui surgit soudainement. S’ensuit généralement une pleine satisfaction et une euphorie. Cette euphorie peut amener à oublier les mécanismes qui ont permis d’obtenir le résultat dont nous venons d’avoir la vision ! L’inspiration ne se force pas mais il faut être prêt à l’accueillir. Une chose est sure : elle apparait rarement pendant les phases de travail et de documentation.

visiteur de la créativité, eureka
L'étrange visiteur

Dans le cadre d’une création libre, la volonté de créer mêlée aux ressources conscientes et inconscientes va produire une vision de l’objet à créer, une présence, un « étrange visiteur », comme le décrivent Goethe, Nietzsche ou Mozart. Cette idée provient de la Grèce antique.

A l'époque, les artistes pensaient que leur inspiration était extérieure et divine et prenait la forme de « daimons », des esprits qui les accompagnaient. La création ne se définissait alors que par cet état d'extase, mot qui, en Grec, signifie se tenir à côté de quelqu'un. Les romains feront perdurer cette idée de présence extérieure. Reste que ce "visiteur" ne rend visite qu’aux personnalités prédisposées à créer qui ont consciemment ou inconsciemment activé les précédentes phases.

Tension et relâchement

Selon Jung-Beeman et Kounios une fois que le cerveau a terminé son travail de concentration durant la seconde phase, le cortex nécessite alors un relâchement afin d'aller chercher d'autres solutions plus profondément. Ce relâchement est primordial pour que l’idée puisse apparaître. Le créateur doit réussir à ne plus penser au problème pour laisser venir l'idée. L'apparition de la vision dans les moments les plus anodins n'est donc pas un accident. Le matin, juste après le réveil est aussi un moment idéal pour voir les idées émerger à la conscience. Le cerveau se réveillant est encore désorganisé, laissant la voie libre aux idées originales.

Construction de la solution

La vision peut aussi progressivement se construire consciemment à partir des éléments que nous fournit notre esprit, brique par brique. Ce processus peut durer des années. Les phases de vérification et de vision s’entremêlent alors. Cela confirme l’idée selon laquelle les phases ne sont pas clairement délimitées.

Le mathématicien français Henri Poincaré a régulièrement laissé son inconscient lui fournir des solutions à ses recherches. Il décrivait sa vision comme une subite étincelle, perçue comme "un indicateur évident d'un long travail inconscient".

Avant d’arriver à cette phase le créatif a traversé des périodes de découragement et de tension, surtout lors de la seconde phase. Bien que l’activité créative arrivée à son terme soit source de réjouissance, on ne crée pas dans la joie.

Après la vision du résultat, le créateur se distance de sa production de façon à la mettre en perspective. Dans ce cas, c'est l'hémisphère gauche qui reprend le contrôle de la vision, complétant ainsi le "dialogue fructueux entre les deux hémisphère du cerveau".

Quatrième Phase du Processus Créatif Selon Wallas : la Vérification

Selon Wallas, la phase de vérification finalise le processus de résolution du problème. Après s’être distancé de sa production, le créateur va en juger l’intérêt. Cette création est-elle esthétiquement viable ? Est-elle faisable avec les moyens techniques dont il dispose ? Résout-t-elle vraiment le problème initial ?

La proposition doit être suffisamment séduisante pour que le créateur fournisse l'énergie nécessaire à sa réalisation. La communication est ici importante car il s’agit de retranscrire la vision subjective dans des formes objectives claires (croquis, écriture). La « flexibilité » de l’individu entre ici en jeu pour avoir accès à des propositions variées et élaborées.

Selon le mathématicien Poincarré, il faut utiliser un tamis pour pouvoir trier les créations. Il faut celui lui l'utiliser selon les critères suivants : la représentation visuelle, l'esthétique, la continuité dans les théories et l'intuition.

Il ne s’agit ici que d’une théorie, la créativité étant multi-domaine chaque théorie s’applique à une tâche particulière. Existe-t-il un process créatif générique et commun à la création musicale, culinaire ou littéraire ? Dans le cas de Wallas, cette théorie semble s’appliquer à la résolution de problème.

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